L'HISTOIRE DU DICTIONNAIRE
1. Le dictionnaire sous l'Antiquité
Les plus lointains ancêtres de nos dictionnaires sont les listes bilingues akkadien-sumérien (2400 av. J.-C. ), les listes de mots rares ou difficiles de la Grèce antique, extraits par exemple des poèmes d'Homère par Protagoras d'Abdère (Ve siècle av. J.-C. ), ou les dictionnaires chinois (IIe siècle av. J.-C. ). Son œuvre fait du grammairien latin Varron (Ier siècle av. J.-C. ) à la fois un lexicographe et un encyclopédiste avant la lettre. Dans les premiers siècles de notre ère, on produit de nombreux "glossaires ", qui témoignent de l'intérêt que l'on porte alors à la philologie : Verrius Flaccus (Ier siècle ) compose un recueil de mots latins difficiles, remanié au IIe siècle par Festus ; Julius Pollux (IIe siècle ) rédige un recueil de synonymes.
2. Le dictionnaire au Moyen Âge
Au début du VIIe siècle, les Étymologies ou Origines d'Isidore de Séville renferment le savoir profane et religieux du temps ; l'œuvre sera consultée pendant tout le Moyen Âge. Ce sont les Arabes qui s'illustrent ensuite par leurs travaux lexicographiques : Khalil ibn Ahmad (VIIIe siècle ) rédige le premier dictionnaire de la langue arabe, Ibn Durayd (IXe -Xe siècle ) un dictionnaire qui regroupe l'ensemble des dialectes arabes et un autre où il étudie l'étymologie des noms propres. En Occident apparaissent bientôt de nombreuses sommes didactiques, dont le célèbre Speculum majus ("le Grand Miroir "), de Vincent de Beauvais (vers 1244 ), puis divers "vocabulaires ", listes de mots bilingues, dont le Vocabulary in French and English (1483 ), de William Caxton.
3. Le dictionnaire à la Renaissance
Deux ouvrages médiévaux, remaniés et développés par des humanistes aux XVe et XVIe siècles, joueront un rôle important : le Catholicon, de G. Balbus (XIIIe siècle ), modèle du dictionnaire universel, et le Dictionarium (1502 ) d'Ambrogio Calepino, qui, au fur et à mesure de ses éditions successives, va devenir le premier dictionnaire vraiment multilingue (onze langues en 1588, après avoir été bilingue latin-italien à ses origines ). À la Renaissance, l'invention de l'imprimerie et les besoins des traducteurs entraînent une multiplication des dictionnaires. Le premier à porter ce titre en français paraît en 1538 (Dictionnaire français -latin de Robert Estienne ); le mot désigne alors des ouvrages bilingues, un dictionnaire monolingue étant appelé thesaurus ("trésor "). Parallèlement, le terme encyclopédie est utilisé pour la première fois comme titre de compilations érudites.
4. Le dictionnaire au XVIIe siècle français
Le premier dictionnaire de la langue française (publié en 1606 ), adaptation de celui de Robert Estienne, sera l'œuvre de Jean Nicot (plus connu pour avoir introduit le tabac en France ). Mais c'est surtout à la fin du XVIIe siècle que sont publiés, à quelques années d'intervalle, trois grands dictionnaires consacrés à la langue française : celui de Richelet (1680 ), celui de l'Académie (1694 ) et, précédant de peu ce dernier, celui de Furetière (Dictionnaire universel, 1690, qui valut à son auteur d'être exclu de l'Académie pour concurrence déloyale ). Ils se donnent tous trois pour but de "purifier " la langue, d'en fixer le bon usage. Le dictionnaire est alors normatif : il indique des règles à suivre, il légifère.
5. Le dictionnaire au siècle des encyclopédies
Un érudit français, Louis Moreri, publia entre-temps un ouvrage encyclopédique (1674 ), bientôt adapté dans plusieurs langues européennes et très souvent réédité, et Pierre Bayle ne tarde pas à publier son fameux Dictionnaire historique et critique (1696 -1697 ), présenté comme la critique du précédent et rendant déjà un grand culte à la raison. Ces deux ouvrages annoncent les grandes encyclopédies du XVIIIe siècle. En Grande-Bretagne, après le Lexicon technicum (1704 ), de John Harris, Ephraim Chambers publie en 1729 la Cyclopaedia, qui consacre le titre et le genre ; elle servira de modèle à l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751 -1772 ), dirigée par Diderot et d'Alembert. Cette œuvre monumentale, largement illustrée de planches didactiques, reflète la pensée philosophique des décennies prérévolutionnaires et connaît un très grand succès. Elle a été précédée, en Allemagne, par le Grossesvollständiges Universal Lexicon (1732 -1750 ), la première encyclopédie à faire entrer les contemporains et à adopter l'anonymat des articles. Elle est presque contemporaine de l'Encyclopædia Britannica (1768 -1771 ), sans cesse rééditée et améliorée depuis.
6. La Révolution et le droit des mots
Pendant près de cent cinquante ans, après la triade française de la fin du XVIIe siècle, les dictionnaires ont continué, en France, à recueillir le "beau langage ". Les jésuites étaient partis du dictionnaire de Furetière pour la rédaction du Dictionnaire de Trévoux (1704 ), lequel fit autorité tout au long du XVIIIe siècle. De 1718 à 1835, l'Académie a publié cinq versions nouvelles de son Dictionnaire. Mais la Révolution est passée par là et, comme le fait remarquer Sainte-Beuve à l'Académie vers le milieu du XIXe siècle : "Aujourd'hui, tous les mots plébéiens, pratiques, techniques, aventuriers même, crient à tue-tête et font violence pour entrer... Je les vois se dresser en foule, frapper à la porte du Dictionnaire de l'usage et vouloir en forcer l'entrée."
L'Académie reste cependant résolument puriste et le changement va venir, en France, d'Émile Littré et de Pierre Larousse. Le premier, dans le Dictionnaire de la langue française (1863 -1873 ), enregistre l'usage contemporain, n'hésitant pas à accueillir des termes techniques, des néologismes et des mots de la langue parlée, y compris des mots régionaux ; son dictionnaire demeure, aujourd'hui encore, grâce à la finesse des analyses sémantiques et au choix des citations (qui font une large place à l'ancien français ), un monument dont les lettrés aiment à savourer la "lecture ". Quant au Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, publié entre 1866 et 1876, il a réduit considérablement la distance entre le dictionnaire et l'encyclopédie (les mots n'étant parfois que l'occasion de longs développements sur les choses ) et se distingue par ses prises de position politiques et sociales clairement affichées.
Au XIXe siècle, de nombreux dictionnaires marquants sont publiés dans le monde : l'American Dictionary of the English Language (1828 ), de Noah Webster, les dictionnaires de la langue allemande des frères Grimm (1854 ) et de Konrad Duden (1880 ), ainsi que le Oxford English Dictionary (1884 -1928 ).
7. Le dictionnaire à l'époque contemporaine
Au XXe siècle, de nouvelles tendances se dessinent. Du côté des dictionnaires, il faut noter, en France, les descendants multiples du "Larousse ", la parution du "Robert " (1953 -1964 ) et, plus près de nous, celle du Trésor de la langue française (vaste inventaire de la langue des XIXe et XXe siècles ). Par ailleurs, le "petit " dictionnaire de langue en un volume se généralise et fait désormais partie de la vie quotidienne.
L'encyclopédie connaît un nouvel essor grâce au grand bouleversement des connaissances. À côté d'ouvrages nouveaux mais de conception et de forme traditionnelles (Encyclopædia universalis, 19681974, Encyclopédie générale Hachette, 1975 -1978, Grand Larousse universel, 1982 -1985 ) apparaît le concept d'une encyclopédie adaptée aux différents âges scolaires (Tout l'Univers, 1961 -1978, destiné aux 8 -13 ans ) et naissent diverses collections, à vocation ou même à statut encyclopédique, dont les livres prennent progressivement leur place dans une grande mosaïque du savoir : c'est le cas en Grande-Bretagne des "Penguin Books ", en France de la collection "Que sais -je ?" (depuis 1941 ) ou de l'Encyclopédie de la Pléiade (commencée en 1955 ).
Enfin, le développement de l'informatique a ouvert la voie aux dictionnaires électroniques, tel Zyzomys (créé par Hachette en 1989 ), puis aux dictionnaires et aux encyclopédies multimédias, tels Axis et le Dictionnaire Hachette Multimédia (créés par Hachette en 1994 ), Encarta de Microsoft ou le Larousse Multimédia Encyclopédique.
In Encyclopédie HACHETTE.
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